Nous découvrîmes bientôt de longues
colonnes de femmes et d'enfants, mais aussi et surtout de soldats de
l'Empire et de combattants kislévites. Les peaux-vertes les avaient
également capturés. Nous étions maintenant plusieurs milliers d'humains
rassemblés au milieu de cette gorge dans sa partie la plus large. Nous
fûmes répartis en plusieurs groupes, les orques veillant à séparer les
hommes qui avaient fait partie d'une même unité. A coups de fouets,
mon groupe fut chargé de ramener à proximité du camp orque de gros blocs
de pierre. D'autres prisonniers furent emmenés hors de la gorge pour
couper des arbres et ramener les gros troncs élagués. Sous la direction
d'un shaman gobelin, des centaines de compagnons d'infortune creusaient
de profondes fondations.
Durant un nombre incalculable de jours et de nuits, nous accomplîmes
notre tâche sous les coups des monstrueux brigands. Nous assistions
à la disparition de nos compagnons qui périssaient sous les mauvais
traitements et se faisaient ensuite dévorer par ces immondes créatures.
Peu à peu, l'épaisse forteresse se dressait au milieu de la gorge, bloquant
irrémédiablement le passage. Elle s'élevait sur plusieurs étages et
était construite solidement sans aucune finesse et sans aucun soucis
de décoration. Les murs étaient constitués d'un mélange de troncs d'arbre
servant d'armatures aux pierres et à l'argile. La forteresse était capable
d'abriter l'essentiel de l'armée de Têt Kramé, y compris ses nombreuses
unités de cavalerie qui trouvaient toute la place nécessaire au niveau
du sol et étaient toujours prêtes à sortir pour charger.

Ses catapultes trouvaient à se
placer sur le périmètre de ronde du dernier étage. Dans les sous-sols,
ils disposaient de tout ce qu'il fallait pour tenir un siège (boissons,
armes et nourriture)… Leur nourriture, c'était nous, leurs prisonniers…
Quand la construction arriva à son terme, Têt Kramé fit recouvrir l'entièreté
des murs par de l'argile rouge et par de l'argile ocre symbolisant respectivement
"le sang des zumains qu'il avait versé et qu'il allait encore faire
couler" et "les richesses qu'il leur avait prises et allait encore leur
prendre".
Comme il n'avait plus besoin de nous que pour des travaux mineurs, il
nous fit enchaîner pour la plupart au troisième sous-sol qui se prolongeait
par d'innombrables galeries vers des destinations inconnues des prisonniers
encore en vie. Ceux qui les avaient creusées n'étaient jamais reparus.
A l'approche de l'hiver, nous surprîmes les propos de nos gardiens qui
se régalaient déjà à l'idée du festin qu'ils allaient faire avec nos
carcasses.Depuis le début de ma captivité, je n'avais eu en tête que
l'évasion. J'observais tout et me renseignais autant que cela m'était
possible sans éveiller l'attention. Avec une dizaine de mes hommes parmi
les plus résolus ayant survécu, j'échafaudais des plans…

|
|
C'était hélas compter sans les
projets des orques qui firent disparaître mes compagnons un par un…
Lorsque je me retrouvai seul, j'hésitai à tenter la grande aventure,
mais les cris des malheureux qu'ils écorchaient avant de les manger
me décidèrent à tenter le tout pour le tout.
J'avais remarqué que les orques qui empruntaient un souterrain bien
précis revenaient toujours avec une terre argileuse verte collée à la
plante de leurs sales pattes. Or, j'avais gardé le souvenir de cette
argile particulière qui se trouvait à une demi-journée de marche de
l'entrée du défilé où nous avions été piégés. Mes compagnons et moi
avions décidé de fuir par ce souterrain qui nous semblait être la seule
voie vers un salut possible. Nous avions poli une multitude de pierres
qui étaient dissimulées dans l'argile du sol et qui étaient suffisamment
tranchantes et pointues pour traverser la peau d'un orque. Nous devions
en disposer un peu partout car les orques ne nous replaçaient jamais
dans les mêmes cellules quand ils avaient recours à notre main d'œuvre.
La chance fut avec moi quelques jours avant la venue de l'hiver. La
plupart des locataires de la forteresse s'en allèrent pour une dernière
expédition chez les Kislévites avant que la neige ne rende hasardeuse
toute sortie. Ne restèrent pour nous surveiller que quelques orques
fortement marqués par les combats antérieurs et quelques gobelins complètement
fous qui passaient leur temps à manger des champignons hallucinogènes
et à se battre malgré les coups de fouet de leurs grands cousins. Celui
qui gardait l'espèce de clé permettant d'ouvrir la porte de ma cellule
fut violemment projeté contre la grille par un orque qui voulait calmer
ses ardeurs belliqueuses. J'en profitai pour lui planter mon silex dans
la gorge, lui dérober la clé et m'enfuir par le souterrain qui, je l'espérais
de tout cœur me mènerait à la liberté. Je ne fus suivi par aucun autre
détenu car ils avaient tous eu leur volonté brisée depuis longtemps.
Malgré l'obscurité régnant dans le souterrain, je m'aventurai en me
fiant au faible courant d'air que je percevais. Je marchai sur des choses
innommables sans, toutefois, m'arrêter pour en deviner l'origine. Je
crus mourir de désespoir lorsque je sentis, après des heures et des
heures de progression, que je pénétrais dans l'eau. Je commençais carrément
à paniquer croyant que je m'étais trompé de route lorsque je vis au
loin un petit rayon de lumière qui semblait m'appeler. Je le suivis
et débouchai dans une marre verdoyante. Me retournant, je vis que le
lierre que j'avais écarté pour sortir masquait entièrement l'entrée
du sous-terrain.
Craignant que les peaux vertes ne se soient aperçus de ma fuite, je
me lançai de toutes mes forces dans la direction qui devait me mener
droit aux humains… du moins s'il en restait encore dans la région.
D'un seul coup, je sentis des corps se laisser tomber sur moi et m'écraser
au sol. Grande était ma panique… Elle céda la place à un sentiment de
joie que je n'avais plus connu depuis très longtemps lorsque je m'aperçus
qu'il s'agissait de… pistoliers ! Ils me menèrent auprès de leur capitaine
qui écouta mon récit avec grand intérêt et m'expliqua qu'une armée importante
s'apprêtait à faire le siège de Tatak-Tator à la bonne saison et que
le Grand Ponte-Tif, bras droit du Grand Théogoniste en faisait partie
avec, à titre exceptionnel, l'autel de guerre.
Au quartier général, on écouta avec grand intérêt mon récit et l'on
envisagea d'infiltrer la forteresse par le souterrain qui avait permis
ma fuite… Hélas, lorsque je le leur montrai, nous nous aperçûmes que
les peaux vertes l'avaient bouché. Nous renonçâmes à l'exploiter car
nous savions que nous allions tomber d'embuscade en embuscade.
L'hiver est là, et, sans attendre
le printemps, nous allons passer à l'action car les troupes de Têt Kramé
se renforcent de jour en jour. Me voilà maintenant, devant cette forteresse
que j'ai contribué à édifier, à la tête d'une nouvelle compagnie de
pistoliers, plus que jamais désireux de venger le sort de mes compagnons…
|